
La lutte contre la fraude électorale passe avant tout par la présence de citoyens dans les bureaux de vote pendant l’élection. Voici comment se passe les opération électorales actuellement en France. Les voix sont comptées de trois façons :
- sur l’urne, avec un compteur qui est activé à chaque vote, par un taquet actionné par un des assesseurs : normalement un coup est donné sur le taquet pour introduire chaque enveloppe dans l’urne. Toutefois, il peut y avoir une fausse manipulation (essai du système par un assesseur inexpérimenté, enveloppe coincée, etc.) qui induit un écart de quelques unités à la fin de la journée entre le nombre d’enveloppes dans l’urne et le compteur. A la fin, le compteur doit toujours indiquer plus que le nombre d’enveloppes dans l’urne ;
- par le nombre d’enveloppes dans l’urne, qui sont comptées une première fois à l’ouverture de l’urne, avant tout dépouillement, puis une seconde fois au dépouillement où les voix attribuées aux différents candidats sont comptées par quatre personnes (une qui déclame les bulletins trouvés et trois qui notent et déclament également toutes les 10 voix le nombre de bulletins comptés par candidat) ;
- par la liste d’émargement.
Pour avoir observé le processus récemment, voici à mon sens où se situent les possibilités de fraude dans les pratiques actuellement en vigueur :
- Le fait que les trois personnes qui comptent disent tout haut les dizaines peut induire une entente entre les trois personnes, avec une personne parlant un peu avant les autres et les deux autres qui suivent, anticipant ou retardant l’annonce d’une dizaine pour minimiser ou maximiser le nombre de voix. Si personne n’est attentif en parallèle, notamment si aucun scrutateur n’est venu s’ajouter sans prévenir aux personnes prévues par les municipalités pour dépouiller, il est possible que des fraudes se produisent à ce moment là, faisant passer des votes d’un candidat à un autre.
- La liste d’émargement n’est comptée que par une personne. On est ensuite censé retrouver le nombre de votants en comptant les enveloppes sorties de l’urne. Si le compte de la liste d’émargement a lieu à l’écart de l’assistance, sans que l’intervenant soit vu des autres personnes qui assistent au dépouillement, il est possible d’ajouter des votants artificiellement, pour faire tomber juste le compte à la fin si un « bourrage d’urne » a eu lieu pendant la journée. Il suffit donc de la complicité de trois assesseurs ayant tenu le bureau de vote quelques heures dans la journée et de la personne qui compte la liste d’émargement pour couvrir une fraude par augmentation artificielle du nombre de votants.
Face à ces deux situations de fraudes potentielles, les remèdes paraissent a priori assez faciles à mettre en œuvre :
- Avoir des scrutateurs (plusieurs pour éviter les inattentions, notamment en fin de dépouillement) pour chaque bureau de vote, et là… c’est à la mobilisation citoyenne d’agir et contester les opérations de votes non-conformes en faisant inscrire les irrégularités au procès-verbal de dépouillement du bureau de vote. La contestation des opérations de vote peut toujours se faire le jour de l’élection, par n’importe quel citoyen ayant assisté à l’opération et faisant porter au procès-verbal sa réclamation, dans un bureau de vote de sa circonscription.
- Que quelques personnes qui n’ont pas pu ou voulu aller voter fassent la démarche d’aller consulter la liste d’émargement a posteriori, pour vérifier que personne n’a voté à leur place ou que des personnes qui ont voté ou non se déplacent pour recompter le nombre de signatures et vérifier qu’elles correspondent au nombre de votants du bureau de vote (dans le procès-verbal de dépouillement) et qu’elles vérifient que la somme des votants inscrits sur les procès-verbaux de la commune correspond bien au total de votants pour la commune, diffusé sur Internet par le Ministère de l’Intérieur [1].
Concernant les contestations post-scrutin, voici les modalités à respecter pour les différentes élections en France :
Élections | Pendant le délai de recours contre l'élection | Après |
Municipales | Qui ? Les personnes inscrites dans la commune Auprès de qui ? En complément des réclamations qui peuvent être consignées au procès-verbal le jour de l’élection, il est possible d’adresser une réclamation à la sous-préfecture ou préfecture. Elle est alors immédiatement adressée au préfet qui la fait enregistrer au greffe du tribunal administratif. Quand ? La date limite de réception de la requête par le tribunal est le 5ème jour après l’élection, à 18 heures. Cf. articles L248 [9], R70 [13] et R119 [11] du code électoral | Communication des procès-verbaux sous le régime du code des relations entre le public et l'administration |
Départementales | Qui ? Les personnes inscrites dans le canton Auprès de qui ? En complément des réclamations qui peuvent être consignées au procès-verbal le jour de l’élection, il est possible d’adresser une réclamation à la sous-préfecture ou préfecture. Elle est alors immédiatement adressées au préfet qui la fait enregistrer au greffe du tribunal administratif. Quand ? La date limite de réception de la requête par le tribunal est le 5ème jour après l’élection, à 18 heures. Cf. articles L248 [9] et R113 du code électoral [10] |
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Régionales | Qui ? Tout électeur de la Région, le préfet de Région s’il estime que les formes et conditions légalement prescrites n’ont pas été respectées Quand ? Dans les 10 jours qui suivent la proclamation des résultats Auprès de qui ? Le Conseil d’Etat Cf. article L361 du code électoral [12] |
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Législatives | Qui ? Toutes les personnes inscrites dans la circonscription Quand ? Dans les dix jours qui suivent l’élection, pendant lesquels sont accessibles au citoyen les procès-verbaux de l’élection et l’acte de naissance ainsi qu’un extrait de casier judiciaire du candidat élu, ainsi que de ses suppléants (en mairie probablement, même si le texte ne le précise pas). Cf. Chapitre VI, article 32 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel [1]. | Les procès-verbaux sont versés aux archives départementales et ne peuvent plus, ensuite, être communiqués qu’au Conseil constitutionnel Cf. article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel [14], auquel renvoie l’article LO. 179 du code électoral |
Présidentielles | Qui ? Le préfet ou les candidats Quand ? Dans les 48 heures qui suivent la clôture du scrutin Auprès de qui ? En déférant au Conseil Constitutionnel les opérations électorales présumées frauduleuses. Cf. titre IV - article 30 du décret n°2001-213 du 8 mars 2001, portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel [2] [3]. | Communication des procès-verbaux sous le régime du code des relations entre le public et l'administration |
Européennes | Qui ? Toutes les personnes inscrites dans le pays Quand ? Dans les 10 jours qui suivent la proclamation des résultats Auprès de qui ? Conseil d’État Tout électeur peut également intenter à tout moment une action devant le Conseil d’État en vue de faire constater la situation d’incompatibilité dans laquelle se trouve un représentant au Parlement. |
Malgré cette apparente simplicité, il me semble qu’il y a quelques obstacles à la mise en oeuvre d’une telle contestation, dans le cas où une fraude est constatée ou simplement suspectée, au vu des résultats qui ne semblent pas correspondre à l’état de l’opinion publique (sondages, etc.).
- Globalement, les opérations électorales ne peuvent pas être contestées par les partis politiques, les associations ou les personnes publiques, maximisant ainsi l’exposition des individus à des représailles lorsqu’ils dénoncent des fraudes électorales.
- Les médias n’incitent pas à de tels recours. Par exemple, Le Monde [4] nous explique au sujet des législatives de 2022, qu’il n’est plus possible de refaire de décompte après le scrutin parce que les bulletins ont été détruits. Il est vrai qu’il n’est plus possible de recompter les bulletins en eux-mêmes, par contre vérifier que les votants qui ont émargé correspondent bien à des personnes qui ont effectivement voté est possible.
- Même si le ministère de l’Intérieur publie désormais le résultat des élections sur Internet [5], il n’est pas possible, sans être un programmeur informatique averti, d’éditer facilement un tableau avec les résultats de plusieurs circonscriptions, d’analyser plus en détails a posteriori le résultat des élections en examinant des évolutions temporelles ou en comparant les résultats entre les deux tours d’une même élection. Nous gagnerions un sentiment d’honnêteté du système électoral si nous étions libres de réaliser ces analyses, à partir de fichiers texte regroupant les résultats de chaque élection qu’il serait facile d’analyser dans un tableur, dans une base de données, etc. comme c’est le cas de la plupart des données publiques diffusées notamment sur le site data.gouv.fr [6].
- Les résultats sur Internet [5] ne sont pas accessibles à l’échelle du bureau de vote, seule échelle à laquelle les informations sont connues sans ambiguïté des participants au dépouillement. Il faut aller en mairie pour y accéder.
- La procédure pour consulter les listes d’émargement est assez contraignante, puisqu’on doit au préalable se renseigner de l’endroit où elle se trouve et éventuellement se rendre dans un lieu un peu éloigné de chez soi pour y accéder, dans un délai contraint. L’accès aux procès-verbaux pour les élections législatives rendu impossible aux citoyens au-délà du délai de recours contre l’élection (10 jours) semble difficile à justifier dans une optique démocratique.
Références
[5] https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr
[7] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000027572205?isSuggest=true
[9] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006353588
[10] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000028112224
[11] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006354723
[12] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006354026
[13] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006354580
[14] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000023882783